Toutes les nouvelles rassemblées ici témoignent de ce souci et de ce don. Mais ces nouvelles ont été également choisies à dessein pour dévoiler un autre aspect inconnu de Pirandello, un Pirandello régionaliste, tout nourri du folklore de son île, hanté par les récits entendus dans son enfance, – légendes garibaldiennes, évocations de brigands -, un émule sicilien du Mistral des Proses d’almanach et de Roumanille.
Nouvelles – Avant-propos
Si tout le pirandellisme est dans Pirandello, Pirandello est loin d’être tout entier dans le pirandellisme. Le côté purement sicilien de l’oeuvre de Pirandello, par exemple, reste encore à peu près ignoré du lecteur français. On ne peut pourtant comprendre à fond l’auteur des Six personnages, saisir l’authenticité, la spontanéité de son tourment foncier (considéré bien à tort le plus souvent comme un simple jeu cérébral) qu’en se reportant à ses origines siciliennes. Le Sicilien de mélodrame que nous connaissons est un être tout d’impulsion, qui vit sa vie, ses passions avec une «immédiateté» totale. Les Siciliens de Pirandello ne sont pas moins impulsifs que ceux de Cavalleria Rusticana. Seulement cette soudaineté qu’ils apportent dans l’action, ils l’apportent aussi dans la pensée. Ils pensent aussi vite qu’ils agissent, ils sentent aussi vite qu’ils pensent.
À peine ont-ils agi qu’ils se jugent; il leur arrive même de se juger plus vite qu’ils n’agissent et de s’abstenir alors d’agir comme on les voit passer instantanément du rire aux larmes, de la colère à la pitié et à l’attendrissement, de la fureur à l’ironie. La mobilité, voilà ce qui les caractérise avant tout et c’est à partir de cette mobilité que s’est peu à peu affirmé dans l’oeuvre de Pirandello l’essentiel du pirandellisme, c’est-à-dire la faculté de se dédoubler, et l’instabilité, la discontinuité, la multiplicité de la personne humaine.
Un autre caractère constant chez les peuples méridionaux et particulièrement développé chez les insulaires de Sicile: l’individualisme, compliqué du sentiment de caste, a sans aucun doute aidé Pirandello à sentir, avant de la penser, sa théorie fondamentale de la solitude de l’homme, des cloisons étanches qui séparent les êtres, de l’imperméabilité de l’individu.
Le vieux mot sur le peuple britannique: «Chaque Anglais est une île» n’est pas moins vrai des Siciliens. L’originalité première de Pirandello, peut-être inconsciente à ses débuts, fut précisément de montrer dans chaque récit les points de vue particuliers et les réactions différentes de chaque personnage, depuis le personnage principal jusqu’au plus humble en présence d’une même situation. Il nous montre le même événement interprété d’autant de façons différentes qu’il y a de personnages dans l’histoire.
Toutes les nouvelles rassemblées ici témoignent de ce souci et de ce don. Mais ces nouvelles ont été également choisies à dessein pour dévoiler un autre aspect inconnu de Pirandello, un Pirandello régionaliste, tout nourri du folklore de son île, hanté par les récits entendus dans son enfance, – légendes garibaldiennes, évocations de brigands -, un émule sicilien du Mistral des Proses d’almanach et de Roumanille.
La Sicile de Pirandello se réduit d’ailleurs à un coin bien localisé, son pays natal, le pays d’Agrigente, son port, ses soufrières, sa campagne demi-tropicale, ses populations croupissantes dans la misère, la superstition et l’ignorance séculaires, entretenues par le régime des Bourbons et des prêtres et auxquelles le nouveau régime n’a pu encore entièrement remédier, le paganisme foncier de ces fils de la Grande-Grèce, leur besoin d’union avec toute la nature qui se manifeste si curieusement dans Chante-l’Épître, leur joie de vivre et de railler, si gaillardement traduite dans In Corpore vili ou Une Invitation à dîner, leur «Selbstironie» incarnée si comiquement par le Don Paranza de l’Étranger.
En même temps que quelques échantillons du vérisme si particulier de Pirandello – un vérisme qui s’évanouit dans un humour auquel il emprunte sa poésie -, ce qu’on trouvera dans ce recueil, à travers la variété des images et du ton, c’est l’atmosphère et comme la sensation charnelle de cette «Vieille Sicile», base solide et point de départ de toute l’oeuvre pirandellienne.
BENJAMIN CRÉMIEUX, 1928
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